Désacraliser une église : de la prière à la bière

Alex Vandurme et Jean Cheffert ont créé une micro-brasserie dans une ancienne chapelle à Malonne. Une odyssée pas comme les autres pour concrétiser un rêve de passionnés. 

Les bières Philomène ont vu le jour dans l’ancienne Chapelle du Piroy, dédiée autrefois à Sainte Philomène, en province de Namur. Un projet fédérateur et très ancré localement, avec le désir d’emblée déclaré de sauvegarder un certain patrimoine. Alex Vandurme, co-fondateur de la Brasserie du Clocher, nous explique cette aventure peu commune. « Notre priorité était de trouver un lieu dans l’entité de Malonne. Nous avons visité d’anciennes classes, réfectoires, boucheries, jusqu’à entendre parler de la Chapelle du Piroy inutilisée depuis un certain temps. Bien sûr, le projet semblait fou mais nous étions animés par l’énergie de l’espoir. 

Deux éléments entraient en ligne de compte quant à la difficulté de l’entreprise. D’une part, la transformation de l’église, avec le volet d’acceptation du projet par la communauté locale. Nous désirions ancrer la brasserie dans le village et avons donc organisé des séances d’information. Le deuxième aspect concernait l’état très moyen du bâtiment. J’ai dû vraiment convaincre mon associé qui m’a dit alors : « Te rends-tu compte Alex qu’on se met un éléphant sur le dos ? » Mais nous tenions, avec cette église, l’originalité de notre brasserie. » 

Il a fallu faire face aux coûts des travaux afin de rendre le bâtiment salubre, de l’ordre de 300.000 euros, aux coûts de maintenance d’une construction datant de 1880 et abandonnée durant 6 ans et à ceux d’installation de la brasserie. 

Autorisations et démarches

« Pour utiliser une expression en rapport avec le lieu, ce fut un véritable chemin de croix ! Il y a d’abord eu des discussions avec la paroisse, puis la procédure d’appel à projet. En ce qui concerne les autorisations, nous avons eu besoin de l’aval de l’administration communale, de la Région wallonne et de la province. L’accord de l’évêché était aussi indispensable du fait du dossier de désacralisation de l’église, prérequis essentiel pour l’achat du bâtiment. Les premiers contacts ont été pris en avril 2015 et nous avons signé les actes en septembre. Avec le recul, nous pouvons dire que les choses ont évolué rapidement. Il est vrai que nous sommes, Jean et moi, très impliqués dans une démarche fédératrice régionale, avec la volonté de préserver un lieu de rassemblement. Notre souci de préservation du patrimoine était dès le départ inscrit dans notre projet. »

Mais comment mettre les chances de son côté quand il s’agit de réaffecter un lieu de culte ? « Nous avons d’office collaboré avec la fabrique d’église et les autorités paroissiales afin de garder, ou pas, les éléments religieux du bâtiment. La cloche, qui n’est plus en état de sonner, trône à l’intérieur de la brasserie mais c’est tout. Quand on voit l’Église Saint-Jacques à Namur transformée un temps en magasin de vêtements avec des pièces pendues aux bras des statues, ça n’a pas de sens. Nous ne voulions pas d’un projet polémique. » 

Au contraire, il a suscité l’enthousiasme du village et des dizaines de bénévoles ont aidé l’entreprise lors des travaux de déblaiement, de déconstruction et de reconstruction. 

Le bâtiment n’est pas classé et c’est heureux. « Sinon, nous ne nous serions pas lancés dans l’aventure car il y aurait trop de contraintes. Notre projet n’était pas de restaurer une église mais de la transformer en brasserie. Le côté logistique nous a d’ailleurs posé problème : assurer toute la production des bières rien qu’en passant par la porte de l’église et en utilisant le parvis comme quai de chargement représente un vrai défi. » 

Pour l’heure, la Brasserie du Clocher, sous statut SRL, a déjà 6 ans d’existence mais 2 ans de Covid. « Il faudra trouver des investisseurs pour passer le cap et grandir. Nous avons deux ouvriers brasseurs, un stagiaire en formation et deux collaborateurs à mi-temps. Il faut savoir que Jean et moi avons aussi un emploi plein temps, Jean est patron de société et moi informaticien. La Brasserie est une passion qui nous prend tout notre temps libre ou presque. »

Que revienne vite le temps des visites, des ateliers et du partage. « Nous sommes désireux de progresser. Que tous ceux qui désirent nous rejoindre dans ce projet n’hésitent pas ! »

Les projets de désacralisation d’églises se multiplient à Bruxelles comme en Wallonie. Avec des réaffectations pour le moins diverses : logements, écoles, espaces culturels et de loisirs… Les exemples ne manquent pas. L’ Église du Sacré-cœur de Cointe (Liège) va ainsi devenir en partie la plus haute salle d’escalade d’Europe ! L’ancienne église anglicane de la rue de Stassart à Bruxelles est devenue un club, le Spirito Brussels. À Marche-en-Famenne, c’est un hôtel de luxe qui a élu domicile dans une ancienne église jésuite. Un projet de logements est en cours pour l’Église du Précieux Sang à Uccle, de même pour l’Église Saint-Hubert à Watermael-Boitsfort, la Basilique de Chèvremont à Chaudfontaine… 

Texte Gilda BenjaminPhotos Jan Crab

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