
Se brosser les dents, se peigner les cheveux, s’asseoir… Voilà autant de choses qui semblent aller de soi, n’est-ce pas ? Eh bien pas pour Sophie, 48 ans. À l’âge de 45 ans, cette pharmacienne et maman de trois enfants s’est fait diagnostiquer une démence précoce et depuis, elle séjourne à plein temps en institution. Son mari Hans, 50 ans, s’occupe de sa femme et de leurs enfants sur le plan juridique, financier et émotionnel, dans les bons comme dans les mauvais jours. «Heureusement, elle peut encore profiter de compagnie et d’une bonne tasse de café. »
À l’été 2018, Sophie et son mari décident de louer un mobilhome pour faire un voyage en Suède avec leurs trois enfants, aujourd’hui âgés de 22, 20 et 17 ans. C’est à ce moment-là que la famille remarque pour la première fois que leur maman change. Hans : « Il y avait déjà eu des signes tout au long de l’année, mais avec deux emplois à temps plein, trois enfants et une vie sociale bien remplie, vous n’y faites pas vraiment attention. Vous sentez que quelque chose ne va pas, mais dans la vie, ça arrive. Lors de ces vacances, nous avions le temps d’y prêter attention. »
Le diagnostic
Sophie a perdu beaucoup de poids, elle confond sa gauche et sa droite et alors qu’elle lisait une carte avec facilité, elle perd aujourd’hui le nord. Sa mémoire lui fait parfois défaut. « Après les vacances, ce genre de choses sont devenues plus visibles. » En octobre, Sophie a arrêté de travailler pendant un mois pour la première fois sur conseil de son médecin traitant. La cause ? Un « burn-out ». En mai 2019, après différents examens et de mauvaises conclusions, le diagnostic tombe : une atrophie corticale postérieure, une forme rare de démence précoce. « Le laps de temps écoulé peut sembler court, mais ça a été un processus très long. »
La prise de conscience
La maladie évolue rapidement. Au début, Sophie reste simplement à la maison. À cela s’ajoute l’aide précieuse d’une’ASBL qui organise des activités telles que des promenades, des séances de sport et des ateliers de peinture. Dès 2020, Sophie passe une journée par semaine dans un centre de jour, puis deux dès 2021. « Cela nous confrontait déjà à la réalité, mais à l’été 2021, pendant un voyage, la prise de conscience a soudainement été très forte. Sophie a alors vraiment réalisé ce qu’il se passait et ça a été un coup dur émotionnellement parlant. Cela a entraîné des pensées dépressives, et son état s’est détérioré encore plus vite. » La situation devenait invivable à la maison. Depuis novembre dernier, Sophie réside de manière définitive et à plein temps dans une institution spécialisée. « La décision a été prise en concertation avec sa famille, la mienne et les enfants. Ça n’a pas été facile. »
La compagnie
La maladie de Sophie détruit peu à peu ses neurones. Ce sont d’abord essentiellement ses facultés motrices qui se sont détériorées. Aujourd’hui, Sophie ne sait plus faire grand-chose par elle-même. Se brosser les dents, s’habiller, s’asseoir sur une chaise… « Autant de choses tellement évidentes qu’on oublie qu’on les fait chaque jour. Heureusement, Sophie peut encore profiter de compagnie et des petites choses. En décembre dernier, nous sommes allés un week-end dans les Ardennes. Elle ne dit presque rien, mais on voit qu’elle aime boire une bonne tasse de café, un verre de cava ou bien manger. Elle arrive encore à les porter à sa bouche, mais chaque geste est vraiment laborieux. Il y a par exemple bien longtemps qu’elle ne sait plus reproduire sa signature. »
Le mandat de protection extrajudiciaire
La nouvelle du diagnostic a immédiatement poussé son mari à passer à l’action et régler tous les aspects pratiques. Il a ainsi pensé à un mandat extrajudiciaire qui lui permet de poser tous les actes juridiques et de gérer le patrimoine de Sophie. « Je suis juriste de formation et j’ai autrefois été directeur d’une entreprise de soins de santé, je connais donc assez bien les conséquences de la démence. Je savais ce qui nous attendait et j’ai très vite pensé à un mandat extrajudiciaire. Nous nous en sommes occupés au cours des premiers mois qui ont suivi le diagnostic – lorsque Sophie était encore saine d’esprit. »
Hans a impliqué tout l’entourage de sa femme dans le processus. Après des discussions avec sa belle-famille et la sienne, il a été décidé d’établir un mandat de protection extrajudiciaire au nom de Hans. « Nous en avons longuement discuté à plusieurs reprises, y compris avec Sophie. Elle savait parfaitement ce que c’était, mais je ne suis pas sûr qu’elle en mesure encore la portée. À l’époque, nous étions mariés depuis vingt ans. Sophie a plusieurs fois clairement dit qu’elle avait totalement confiance en moi. Je trouvais ça très important, car de tels moments sont riches en émotions. Vous essayez de faire ce qui vous semble juste. Je n’ai pas vraiment envisagé d’inclure notre aîné dans le mandat. Non pas parce que je voulais absolument m’en charger seul, je trouvais juste ça évident. Je m’occupais alors de Sophie depuis plus d’un an, pourquoi ferais-je quoi que ce soit qui pourrait lui nuire à elle ou aux enfants ? Je comprends que dans d’autres situations, il peut être plus compliqué de limiter le mandat extrajudiciaire à une seule personne, mais pour moi, c’était logique. Ce que nous avons toutefois décidé – et que je trouvais très important –, c’est qu’au cas où il venait à m’arriver quelque chose demain, le mandat reviendrait à nos enfants majeurs. »
Le mandat a pris effet immédiatement, sur les conseils du notaire et parce que la maladie était déjà à un stade avancé. Elle a aussi immédiatement été établie dans les proportions les plus larges. « Rédiger un mandat extrajudiciaire est une vaste solution aux problèmes pratiques. La procédure s’est très bien passée. Ce fut un soulagement que tout soit réglé, avec l’implication de chacun. »
Un paquet de documents
Pourtant, Hans rencontre encore parfois des difficultés dans la vie de tous les jours. « Il y a peu, nous avons reçu à la maison un envoi recommandé au nom de Sophie. J’ai voulu aller le chercher à la poste vu qu’elle n’est plus en mesure de signer, mais le courrier ne m’a pas été remis parce que je n’ai pas pu prouver sur place que j’avais une procuration. C’est tout un paquet de documents, qu’on n’emporte pas partout avec soi. J’ai donc dû sortir Sophie de la voiture, l’emmener à l’intérieur… Ce fut une expérience très pénible, bien que je comprenne que le personnel de la poste doive se montrer prudent. Ce serait pratique d’avoir une sorte de passeport ou de preuve numérique du mandat pour ce genre de petites choses. C’est un point à étudier. »
L’impact
Rien que la situation relatée ci-dessus démontre l’impact de la démence précoce sur une vie. « Vous vivez un séisme, un raz-de-marée, et peut-être même pire. C’est ainsi que je ressens l’impact qu’a la maladie sur notre vie. En premier lieu sur les plans émotionnel et relationnel, mais aussi pratique : il n’est par exemple plus possible d’aller à la piscine. Nous avions une vie sociale très remplie, il n’en reste pas grand-chose. Quand on va au restaurant, on choisit uniquement des établissements avec des toilettes faciles d’accès. Financièrement parlant aussi, la situation a considérablement changé. L’indemnité que nous percevons est nettement inférieure au salaire que touchait Sophie, alors que nous avons deux enfants en kot, peut-être bientôt trois, sans parler des frais d’admission de Sophie. L’impact de la démence précoce est énorme, sur chaque aspect de la vie. »
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Texte : Daan Paredis
Photo : Thomas De Boever