
Cette ASBL, axée sur un projet d’insertion et de formation professionnelle pour des personnes en situation de handicap mental, allie haute gastronomie et inclusion. Et les clients y reviennent autant pour le goût que pour la chaleur de l’accueil.
L’endroit est superbe : une maison de maître sur l’avenue Louise à Bruxelles, des salles spacieuses et joliment décorées, des tables dressées finement, une cuisine apparente où le chef s’active et un personnel attentif aux moindres détails. L’excellence est le mot d’ordre et chaque membre de l’équipe connaît sa tâche avec précision et peu importe qu’elle soit constituée en majorité de jeunes porteurs d’autisme ou de trisomie 21. Rencontre avec le manager Massimo Pellegrino.

« Quand ce projet d’inclusion est né, initié par deux couples très motivés, il n’était pas encore question de restaurant. Mais tant qu’à marquer les esprits, autant démontrer qu’un restaurant gastronomique avec 70 % du personnel porteurs d’un handicap tenait la route. J’ai rejoint le projet peu avant son ouverture en septembre 2018. Au début, nous n’étions ouverts que le midi et travaillions avec 5 jeunes. Mais la demande a très vite été importante et nous avons commencé à ouvrir plusieurs soirs. L’équipe emploie aujourd’hui 15 jeunes entre 19 et 35 ans.
Notre démarche est vraiment le fruit d’une réflexion : pour quelle raison il y a-t-il si peu de personnes porteuses d’un handicap sur le marché du travail ? L’un des avantages de notre projet est de faire se côtoyer des jeunes qui n’ont pas le même handicap et de développer chez eux d’autres capacités. »

ASBL à finalité d’inclusion sociale
Malgré sa spécificité, l’ASBL fonctionne de façon tout à fait classique, sans objectif de bénéfices. « Cependant, il a très vite été établi qu’il fallait être rentable afin de pouvoir inspirer d’autres entrepreneurs. Nous avons bénéficié de soutiens privés et, par la suite, d’associations comme Cap 48, avec des aides non seulement financières mais aussi d’encadrement ou de logistique. »
Massimo n’avait aucune connaissance du handicap. « Mais il était inutile de faire des recherches sur Internet à -propos de l’autisme ou de la trisomie 21. J’engage un individu pour ce qu’il est, avec ses compétences. Je n’ai pas envie de me montrer particulièrement empathique, car ce serait déjà signifier leur différence. L’important est que ces jeunes voient, dans mon regard, que je leur fais confiance. Et ce sont les deux maîtres-mots qui me guident : confiance et patience. Car le dénominateur commun de tous les jeunes qui se présentent chez nous est le manque de confiance. Durant 20 ou 30 ans, on leur a dit « Désolé, ça ne va pas aller, tu n’en es pas capable ». On leur prouve le contraire. »
Au début, le recrutement s’est fait via les associations. Désormais, le restaurant reçoit beaucoup de candidatures spontanées, notamment via des écoles spécialisées. « Après plus de 3 ans d’existence, nous ciblons plus facilement les profils dont nous avons besoin, avec pour qualités principales la volonté et l’envie de bien faire. Je peux expliquer les exigences, les horaires, les règles, mais je ne peux pas insuffler l’envie, elle doit venir du jeune. »

Prendre son envol
14 jeunes sont déjà passés par le 65 Degrés, 7 d’entre eux ont quitté le foyer familial, que ce soit pour un habitat protégé ou un logement individuel. « L’autonomie acquise ici leur sert à l’extérieur. Je suis toujours surpris de voir leur évolution, leur engagement, leur sens des responsabilités… » À force d’expérience, ils font de leurs faiblesses des forces et des compétences précieuses. « Chaque jeune commence par un stage découverte ou scolaire, et ensuite un CAP géré par la Région, en fonction du lieu de résidence de la personne, qui intervient dans le paiement du salaire. Un CAP a une durée limitée dans le temps, le but étant de déboucher sur un CDI et d’offrir des opportunités sur le marché de l’emploi. Ce qui reste compliqué, raison pour laquelle nous continuons à suivre nos jeunes et à les encadrer. »
Le restaurant ne désemplit pas et les clients sont conquis. « Nombreux sont ceux qui viennent pour le projet. Mais s’ils reviennent, c’est pour la qualité du restaurant. On ne vient pas voir des handicapés, mais manger dans un très bon restaurant et apprécier le sourire de nos jeunes. Un client m’a déjà dit qu’il lui avait fallu 1h30 avant de remarquer la particularité de l’établissement. Le plus beau compliment qu’on pouvait nous faire ! »
Au fait, 65 Degrés évoque la cuisson de l’œuf parfait. Et si c’était aussi la recette d’un projet abouti ?
Texte : Gilda Benjamin – Photos : Jan Crab