
Plus d’un an après le suicide de son époux, une épée de Damoclès plane toujours au-dessus de la tête de Veronique Van de Steen. « Nous avons consacré treize ans à la construction de cette maison, notre foyer. L’idée que ma fille Sarah et moi-même devions peut-être la quitter me pèse énormément. Je ne pense pas que Peter pouvait imaginer à quel point nous serions désemparées. »
Dans notre pays, cinq personnes se suicident en moyenne chaque jour. Peter De Prins est passé à l’acte durant l’été 2020. Tout semblait lui sourire : il avait une brillante carrière d’entrepreneur et de professeur à la Vlerick Business School, une famille heureuse, une maison joliment rénovée, il était toujours perspicace, jovial et plein d’énergie… Mais le monde extérieur ne remarquait pas ses démons intérieurs – sa demande d’aide était bloquée sur les longues listes d’attente des psychologues et des psychiatres. Son suicide a complètement chamboulé la vie de son épouse Veronique Van de Steen et de sa belle-fille Sarah. « Un tremblement de vie, par analogie avec un tremblement de terre, ai-je lu récemment », explique Veronique. « Je n’en avais encore jamais entendu parler, mais ce terme décrit parfaitement la situation : votre vie bascule, vous n’avez aucun contrôle sur ce qui se passe et vous êtes forcé de faire certaines choses. »
Un calvaire plus long
Quand une personne se suicide, le calvaire du conjoint survivant est toujours beaucoup plus long. « Si Peter était décédé dans un accident, j’aurais probablement pu l’accepter plus facilement », indique Veronique. Sur le plan émotionnel, mais aussi financier, un suicide a des implications totalement différentes et un impact important sur les proches. « Comme la plupart des personnes mariées, nous avions des emprunts en cours, que nous avions contractés ensemble. Comme l’assurance solde restant dû ne couvre pas les suicides, je devais soudainement supporter notre prêt hypothécaire toute seule. Pour les droits de succession aussi, c’est tout un puzzle : qu’est-ce qui est acquis avant le mariage ? Et pendant ? Quel régime matrimonial – que nous avions modifié – s’applique alors ? Différents calculs doivent être effectués. Il ne s’agit donc pas d’un simple exercice d’arithmétique avec un seul montant total et un seul pourcentage. L’estimation de notre maison a été faite à partir de photos en raison du coronavirus. Il s’agit bien entendu d’un cas de force majeure, mais cette pandémie a rendu les choses encore plus complexes et lourdes. »

Prendre les choses en main
Le jour du décès, Pieter, ami de la famille et avocat, a immédiatement dressé une to-do list avec Veronique. « Il a dit : “Voilà ce que tu dois faire dans les prochains jours.” J’ai tout de suite contacté la notaire et je dois dire que j’étais très contente de la connaître, car j’étais complètement désemparée. Je ne savais pas ce que je devais demander, penser ou faire. À ce moment-là, vous avez besoin de quelqu’un qui prenne le relais. Cette personne de confiance a donc été notre notaire : elle nous avait déjà aidés auparavant pour la création de notre entreprise, notre contrat de mariage, les modifications apportées à ce dernier, etc. Nous lui avions aussi demandé ce que nous devions prévoir au cas où il nous arriverait quelque chose. Mais évidemment pas dans l’optique d’un suicide. Peter avait aussi réfléchi à tout ce qu’il devait régler pour Sarah, sa belle-fille, au cas où il venait à décéder. Nous étions donc en train de nous occuper de tout ça, mais nous n’avions pas encore pris de mesures concrètes, également parce que cela ne semblait pas très urgent. »
« Nous avons vérifié ensemble s’il y avait un testament et s’il s’agissait de la dernière version. Et qu’en était-il des assurances, des couvertures et des conséquences du suicide ? Il y avait également les sociétés de Peter : quelles étaient les options à ce niveau ? Comment fallait-il valider tout cela ? Combien de temps avions-nous pour prendre certaines décisions ? Pour ce faire, nous devions nous plonger dans les statuts de chaque société. La notaire a pris les choses en main pour pas mal de choses. Elle m’a donné de nombreux conseils et mise en contact avec les bons experts. Heureusement, car à ce moment-là, j’avais beaucoup d’autres choses à gérer et de questions pratiques à régler. Cette bouffée d’oxygène était vraiment nécessaire. »
« J’ai aussi immédiatement rédigé mon testament pour ma fille. Je n’y avais jamais pensé avant, mais s’il venait à m’arriver quelque chose… »

C’est notre maison
Le fait que sa situation financière soit toujours incertaine plus d’un an après le décès de Peter préoccupe Veronique. « On se demande si on pourra rester dans notre maison. C’est un souci d’ordre matériel, mais il y a aussi et surtout l’aspect émotionnel.
C’est la maison de Sarah. C’est important pour moi de créer de la stabilité sur tous les fronts : émotionnel, financier… Si l’on devait partir, cela voudrait dire que je devrais déraciner ma fille… Elle ne s’y attend pas du tout. L’idée que je ne puisse pas rester ici me cause des insomnies, du stress et même des douleurs physiques. Pourquoi cette incertitude plane-t-elle aussi longtemps ? »
« Les gens disent parfois : “Veronique, ça doit quand même être dur de reconnaître Peter partout.” Vous savez quoi ? Je trouve cela très agréable et réconfortant. Dans tout ce que je vois ou touche, je retrouve une partie de Peter. Ce serait dommage que cela disparaisse. Je sais que je dois reprendre le cours de ma vie, mais je veux continuer à éprouver ce sentiment. Avancer ne signifie pas oublier. »
« Nous avons rénové cette maison – une ancienne ferme – de sorte que je puisse effectuer mon travail à domicile et le combiner avec mon rôle de mère, que je chéris plus que jamais. Cette maison était notre projet avec Peter. Nous y avons consacré treize ans. Nous avons même vécu uniquement dans la chambre et la salle de bains pendant quelque temps, mais cela a son charme également. C’est ça aussi un foyer. Et maintenant que tout est terminé… »
Check-list pour les proches survivants
« Ce qui pourrait aider les personnes se retrouvant dans une situation similaire, c’est une sorte de road book. Personne ne m’avait dit auparavant qu’existait ce qu’on appelle la pension de survie – indépendamment du fait que je la demande ou pas. Je ne savais pas non plus dans quel délai je devais faire la déclaration pour les assurances. Une check-list reprenant tous ces points permettrait d’enlever pas mal de soucis. Beaucoup de gens se perdent à un moment donné dans le brouillard et rencontrent des problèmes par la suite. Moi aussi, vous savez. J’ai par exemple reçu une lettre recommandée parce que l’électricité n’avais pas été payée. La facture avait en fait été envoyée à l’adresse e-mail de Peter. Mais je ne connais pas ses mots de passe et, en plus, les comptes étaient bloqués. »

« Le blocage des comptes a eu des conséquences encore plus désagréables. J’ai ma propre entreprise, mais je ne pouvais pas non plus accéder à ces comptes. Je ne pouvais donc pas payer mes propres fournisseurs. C’est presque surréaliste d’être coincé ainsi en tant qu’entrepreneur. Heureusement, j’ai pu compter sur la compréhension des fournisseurs, qui ont bien voulu continuer à travailler sans que je puisse les payer tout de suite. Certains m’ont même proposé de m’aider financièrement si j’en avais besoin. Cela m’a fait très chaud au cœur. »
« Je dirige une agence de rencontres et elle devait continuer à tourner. Même en période de deuil. Alors que j’aurais bien voulu rester une semaine ou deux dans mon lit à ne rien faire. Mais en tant qu’indépendant, ce n’est pas possible. Je n’ai probablement jamais autant utilisé de fond de teint que durant cette période, mais je devais continuer à vivre pour ma fille, mon entreprise, la clientèle qui compte sur moi… Lorsque j’étais occupée avec des clients, je refoulais toutes mes émotions, mais dès que la porte se refermait, je m’effondrais parfois comme un château de cartes. Je ne m’attendais pas du tout à ce que cela m’arrive lors d’un entretien avec un client. »
« Plus d’un an après le décès de Peter, des gens de mon groupe d’amis et des connaissances n’osent toujours pas me parler : ils gardent leur distance parce qu’ils ne savent pas comment ils doivent se comporter. Je trouve cela très dommage, parce que le silence n’aide pas. »
En réaction au suicide de Peter, Veronique a lancé l’initiative Be A He(a)ro en collaboration avec quelques amis entrepreneurs et le Centre de Prévention du Suicide. L’objectif est de briser le tabou entourant la dépression et le suicide par le biais d’ateliers.
Si vous avez des questions sur le suicide, n’hésitez pas à appeler la ligne d’écoute du Centre de Prévention du Suicide au 0800 32 123.
Texte Dirk Remmerie – Photo Thomas De Boever