
Carine et André ont plus de 20 ans de différence d’âge, et bientôt 30 ans de mariage. À 53 et 74 ans, une génération les sépare. Tout le reste les rapproche : les 7 enfants qu’ils ont élevés ensemble, les tempêtes traversées main dans la main, les amis qui les aiment, et à qui ils le rendent bien. Et leur envie commune de dévorer la vie sans se priver de rien.
Texte: Sophie Dancot
1988 : les cinémas jouent ‘Le Grand Bleu’. Ayrton Senna domine la Formule 1. Rihanna pousse son premier cri, Françoise Dolto son dernier soupir. La banque où travaillent – sans se connaître – Carine (21 ans) et André (42) ouvre des agences aux quatre coins de la Wallonie. « C’était une petite société à l’époque et j’entendais beaucoup parler d’André, dont la femme était gravement malade et qui allait se retrouver seul avec 6 enfants » raconte Carine.
« Elle est décédée en novembre 88 » poursuit André. « C’était difficile. Nous venions d’emménager dans une grande maison, construite à la limite de notre budget et où rien n’était fini. La laine de roche était apparente, les ampoules pendaient toutes nues au plafond. Il y avait l’emprunt à rembourser, et je travaillais seul… Ma fille aînée avait 18 ans et s’occupait des plus petits. La plus jeune avait 5 ans. »
Puis André rencontre Carine. Rapidement, la rumeur enfle dans l’entreprise. Les parents de Carine ont eux aussi la puce à l’oreille. Et elle les pique désagréablement, car le prétendant a le même âge qu’eux. André est convoqué. « Ils m’ont mise en garde, mais ils ne se sont pas opposés. Avec mes grands-parents, ç’a été plus difficile. “Qu’est-ce que les gens vont penser ?” » Dans la famille d’André, c’est plutôt le soulagement. Il ne sera pas seul pour continuer son chemin.
La première rencontre avec les enfants est difficile. Carine se souvient : « Le chien m’a sauté dessus et a déchiré mes bas. Anne, la fille aînée d’André, avait préparé un plat que son père n’aimait pas. Je me suis assise sans le faire exprès à sa place. Il n’y avait que trois ans de différence entre nous… Pendant des mois, ça n’a pas été facile avec les plus grands. Puis il y a eu des moments de connivence, des petits gestes. Anne a dégagé une partie d’une garde-robe pour mes affaires. Et quand elle est partie en kot, elle m’a dit qu’elle était heureuse que je sois là pour prendre la relève. »
« Papa va encore avoir un enfant à 47 ans ! »
Le couple se marie en 1993, après 4 ans de vie commune. Carine, déjà belle-mère de 6 enfants, a aussi envie d’être maman. « C’était une décision mûrement réfléchie car c’était déjà lourd » reconnaît Carine. « Certains soirs, je pleurais en rentrant du travail : je me retrouvais face aux lessives, aux repas, aux devoirs des petits, aux bagarres entre les garçons… Mais je savais aussi qu’ils m’étaient tous reconnaissants. Ils m’aidaient souvent, chacun à leur manière. »
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« Les enfants rigolaient » se souvient André. « “Papa va encore avoir un enfant à 47 ans…” Mais ils n’étaient pas contre. J’ai le sentiment qu’on était à nouveau tous heureux. »
Carine et André décident de se passer de contrat de mariage et de s’en tenir au régime légal de communauté . « Rien ne nous convenait dans les formules possibles » explique André. « Notre situation était complexe, avec mes 6 premiers enfants, un septième à venir, la différence d’âge… Avec un simple régime de communauté légale, si je décède, la maison revient aux enfants en nue-propriété, mais Carine conserve le droit d’usufruit. C’est ce dont on voulait être sûrs. »
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« Mais c’est aussi un cadeau empoisonné » poursuit André. « Car 7 enfants nus-propriétaires, avec des moyens financiers différents, devront assumer les frais d’une maison qui a déjà plus de 40 ans d’âge. » Il y a peu, avec l’accord d’André, Carine a donc fait l’acquisition d’un appartement à son nom, dont André a l’usufruit. Carine : « Cela fait longtemps que j’en parle, ce n’est pas facile… J’adore cette maison, mais je ne me vois pas l’entretenir seule, ni le grand jardin. Et s’il faut vendre la maison, je n’aurai rien devant moi. Cet appartement, c’était la meilleure solution pour sauvegarder l’intérêt de toutes les parties. »
Carine n’a pas pu adopter les enfants d’André : la différence d’âge était trop faible avec les 3 premiers. S’ils veulent mettre les 7 enfants sur pied d’égalité, comme ils ont toujours eu à cœur de le faire pendant toutes ces années, André et Carine devront passer par un testament. Mais l’idée doit encore faire son chemin.
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« Une chose à la fois » temporise André. « J’arrive aujourd’hui à envisager qu’un jour probablement, la maison sera vendue. J’y suis très attaché, je l’ai construite à moitié de mes mains. Avec ma mémoire, elle sera mon seul héritage, la seule chose que je laisserai. »
La vie à 21 ans d’écart
« Quand j’ai rencontré André, j’étais très jeune et il était en plein âge mûr ; on faisait énormément de choses, c’était une période très active et très heureuse. Quand il a été pensionné, ç’a été un mini choc. Tout à coup il était là en permanence… C’est resté compliqué pendant un an. C’est comme s’il fallait réapprendre à vivre ensemble, comme si la différence d’âge se faisait sentir tout à coup. »

Tandis que Carine télétravaille, André bichonne sa maison et son grand jardin, avec ses hortensias, ses rhododendrons, ses oliviers qu’il rentre chaque hiver. Et dès que Carine termine le travail, c’est un autre joyeux tourbillon qui commence : entre les 7 enfants, les 20 petits-enfants et les innombrables amis, il y a toujours quelqu’un pour ouvrir une bonne bouteille ou se retrouver autour d’une table bien garnie. Bien sûr, c’est une autre histoire en ces temps de Covid. « Si j’avais 40 ans, ça ne me ferait sans doute pas aussi peur. Mais à 74 ans, je crains d’y rester. »
Alors Carine et André gardent momentanément une distance prudente avec ceux qu’ils aiment, et se rabattent sur une autre de leurs activités favorites : le vélo. « Elle roule sur un vélo ordinaire et moi sur un vélo électrique » précise André. « C’est parfait : on s’est remis à niveau ! »