Parler de sa mort, compliqué mais essentiel: “Discuter de votre succession est une source de sérénité”

Crédit: Lies Engelen

Nous sommes sûrs d’une chose : un jour, nous quitterons ce monde. Tâchez donc de prendre vos dispositions et de discuter avec vos proches de ce qu’il convient de faire avec votre héritage. En toute transparence. Pourtant, nombreux sont ceux qui évitent cette conversation : la mort est un sujet qu’on préfère taire. Mais pourquoi donc ? Et comment peut-on venir à bout de ce tabou ?

Texte : Eva Van den Eynde

Nous avons beau l’ignorer toute notre vie, la mort est inexorable. Il nous est pourtant très difficile d’y penser. Comme si l’on risquait de provoquer le destin en parlant de notre mortalité. Pour la thérapeute du deuil Claire Vanden Abbeele, la mort est le fil rouge de son travail et de sa vie. Elle voit au quotidien les gens se débattre avec le terme de leur existence et de celle de leurs proches. « Même sur leur lit de mort, certains continuent à nier que la fin est proche. Parce qu’ils ne peuvent pas supporter la confrontation, parce qu’ils ont peur », explique Claire Vanden Abbeele.

Comment se fait-il que nous ayons tant de mal à parler de la mort ?

« Pour la famille, il est compliqué d’aborder le sujet lorsque quelqu’un est gravement malade parce qu’elle ne sait pas comment s’y prendre. On pourrait avoir l’impression que les proches ont perdu tout espoir ou qu’ils souhaitent que ça se termine rapidement. Mais même les personnes en soins palliatifs ne parviennent parfois pas à en parler. J’ai une fois eu une cliente, une femme intelligente, assez jeune et souffrant d’un cancer, pour qui il n’y avait plus rien à faire. Lorsque je lui ai prudemment demandé si elle avait déjà pris ses dispositions, elle s’est sentie offensée. Comme si, dès qu’on en parlait, cela devenait inéluctable. Comme si elle renonçait à la dernière lueur d’espoir qu’un miracle se produise. »

« Alors qu’il faut en fait faire le nécessaire bien plus tôt, il ne faut pas attendre d’être malade ou âgé, car vous pourriez aussi décéder subitement. Nous ne voulons pas entendre ce genre de choses, mais ça arrive. J’ai perdu mon père ainsi. Il avait 56 ans et était en bonne santé, mais un soir, il est tombé raide mort. Cela a bien sûr été très dur pour moi et c’est ce qui m’a amenée à consacrer mon temps aux gens devant faire face à la mort. »

Nombre de gens se replient sur eux-mêmes dans pareille situation et éviteraient encore plus le sujet. 

« Presque tout le monde redoute la mort. Elle n’est pas vue comme quelque chose de naturel, alors qu’elle fait partie de la vie. Certains se débarrassent de toutes les photos et de tous les souvenirs du défunt parce qu’ils ne veulent plus y penser. C’est douloureux, car c’est comme si vous effaciez son existence. » 

Cela aide-t-il d’être croyant ? Voit-on la mort autrement si l’on croit que la vie ne s’arrête pas là ?

« J’imagine que les croyants sont peut-être plus sereins, mais je remarque tout de même qu’ils n’ont pas moins de difficultés à aborder le sujet de la succession. Alors qu’être croyant ou non n’a rien à voir avec le fait que vous deviez prendre vos dispositions pour les personnes que vous laissez derrière vous. Il est ici question de se soucier des gens qu’on aime. Au cours de notre vie, nous estimons important de prendre soin de nos proches. Mais d’une certaine manière, nous les laissons tomber en ne faisant pas le nécessaire pour quand nous ne serons plus là. Notre mort cause beaucoup de chagrin à nos proches et ne pas devoir régler les questions pratiques peut leur être d’une aide précieuse dans ces moments difficiles, car ils peuvent alors se concentrer sur leur deuil. »

Les gens craignent-ils que des conflits apparaissent ?

« Absolument. Nous voulons préserver la paix et ne pas faire resurgir de vieilles histoires. Mais en évitant le sujet de notre vivant, nous le repoussons à après notre mort, où nos proches n’ont plus d’autre choix que de l’aborder. Un changement que j’ai pu constater au fil des ans est que les gens essaient d’esquiver les conflits ou les anciennes querelles en léguant directement leur succession à leurs petits-enfants. Parfois, il y a des tensions avec l’un des enfants, mais l’on ne veut pas pénaliser les petits-enfants et l’on résout le problème de cette manière. Ce qui n’est pas une mauvaise chose, à mon avis. On parvient alors souvent à consigner officiellement et par écrit les accords chez le notaire. »

Est-il courant que des disputes éclatent à cause d’un héritage ?

« Après un décès, des conflits latents refont souvent surface et la situation peut parfois dégénérer. C’est ainsi qu’éclatent des disputes qui auraient pu être évitées si les gens avaient eu le courage de discuter de ces choses-là de leur vivant. Une succession peut faire ressortir ce qu’il y a de pire en nous. Les masques tombent, l’on fait en sorte d’en retirer le plus possible pour soi ou l’on n’accorde pas la moindre concession à nos frères et sœurs. Les conséquences que cela peut avoir sont parfois inimaginables. C’est à vous de décider ce qu’il adviendra de votre succession. Si vous le faites en toute transparence, vous réduisez le risque que des disputes éclatent. Vous ne pouvez pas en être certain, mais vous aurez dans tous les cas pris vos responsabilités. Car en ne faisant rien, vous faites malgré tout quelque chose : vous rejetez ces responsabilités sur vos proches. Les gens pensent aussi souvent que leur famille est à l’abri des disputes, qu’elle est suffisamment soudée, mais lorsqu’une succession doit être partagée, tout peut vite être remis en question. »

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Quels facteurs entraînent le plus souvent des conflits ?

« Le facteur émotionnel pèse très souvent dans la balance. Même s’il est question d’argent, il y a aussi souvent une autre raison. Les gens se sentent traités injustement par le défunt. Il ne s’agit bien sûr pas de mathématiques. Ce sentiment de justice ne tient pas forcément au fait que tout ait été partagé équitablement. La cause est souvent que l’un des enfants s’est occupé davantage d’un parent au cours des dernières années de sa vie parce qu’il habitait plus près. A-t-il dès lors droit à une plus grande part du gâteau ? Si l’on en discute à l’avance, on remarque que les frères et sœurs sont souvent compréhensifs, mais ils ne veulent pas être mis devant le fait accompli, ce qui arrive si le sujet n’est pas abordé. Cela peut entraîner du ressentiment à l’égard du défunt. Il y aussi parfois des discussions à propos d’un objet ayant une grande valeur sentimentale. Là encore, ce sont des choses qui peuvent facilement être évitées grâce à un dialogue ouvert. »

Voyez-vous parfois des familles qui abordent les choses avec transparence et sérénité ?

« Oui, cela arrive aussi et c’est beau de voir comment l’on exprime alors des choses que l’on a gardées pour soi si longtemps. J’ai une fois reçu en thérapie une jeune famille où la mère était gravement malade. Chacun à leur tour, ils ont pu confier quelque chose qu’ils avaient sur le cœur, mais qu’ils n’avaient pas encore eu l’occasion ou le courage de dire. Il en est ressorti des échanges très honnêtes au cours desquels l’une des enfants a osé dire qu’elle s’était toujours sentie un peu délaissée. En mettant le sujet sur le tapis, ils ont pu s’expliquer. Lorsque la mère a pu prendre la parole, elle a avoué un secret qu’elle gardait pour elle depuis de nombreuses années : plus jeune, elle avait subi un avortement et cela lui pesait énormément. Son fils aîné a répondu qu’il trouvait vraiment triste qu’elle ait dû porter ce fardeau seule toutes ces années et qu’elle n’ait pas pu partager son chagrin. Ce fut un moment bouleversant pour cette famille. »

Remarquez-vous que nous abordons la mort différemment aujourd’hui ?

« Ce que je remarque, c’est que les gens écrivent par exemple plus souvent leurs mémoires. Ils veulent léguer le souvenir de leur vie à leurs enfants et petits-enfants. Ils règlent aussi plus souvent leur enterrement, et ce, dans les moindres détails. Nous avons apparemment moins de mal à gérer cet aspect-là que les choses matérielles que nous laissons en héritage. Mais c’est un pas dans la bonne direction. Le pacte successoral est également une étape positive dans ce processus, il rend le sujet moins difficile à aborder. On remarque toutefois qu’il doit encore faire ses preuves parce qu’il n’existe pas depuis longtemps. Une campagne de sensibilisation ne serait peut-être pas une mauvaise idée pour qu’il soit plus facile d’en discuter. Je pense que les gens ont besoin d’être épaulés. » 

Imaginez qu’on trouve le courage de réfléchir à notre mort. Comment aborder concrètement les choses ?

« Je suggère toujours aux gens de commencer par simplement mettre par écrit ce qu’ils veulent pour leur succession. Non seulement les choses matérielles, mais aussi qui devra par exemple s’occuper des enfants s’ils sont encore mineurs. Vous y réfléchissez ainsi de manière concrète. Si vous savez ce que vous voulez, vous pouvez alors impliquer votre conjoint et vos enfants et discuter ensemble de ce que vous avez noté. Pour terminer, vous pouvez rédiger un document officiel chez le notaire. Ces étapes intermédiaires facilitent les choses et vous donnent le temps d’y réfléchir sérieusement. »

« Imaginez que vous vouliez faire don de votre corps à la science. C’est très noble, mais cela aura des répercussions que vos proches souhaitent connaître à l’avance. Il est déjà arrivé que les enfants n’étaient pas au courant du souhait de leur père à cet égard. Au final, il a fallu un an avant que son corps ne leur soit rendu au terme des travaux scientifiques. Mais cela signifie que pendant ce temps, les proches ne peuvent pas vraiment commencer à faire leur deuil. »

Vous êtes en permanence confrontée à la mort, cela ne vous rend-il pas pessimiste ?

« Au contraire. En ayant conscience que chaque jour peut être le dernier, je porte justement un regard plus optimiste sur la vie. Je ne reporte rien et je vis chaque jour en sorte de n’avoir aucun regret. Je vois parfois dans mon entourage des gens rester dans une relation qui les rend malheureux ou repousser leurs rêves. Mais c’est aujourd’hui qu’il faut vivre, pas une fois que vous êtes pensionné. La mort fait partie de la vie, je trouve donc que nous devons pouvoir en parler naturellement. Mais nous redoutons les émotions que cela pourrait susciter. Pourtant, les gens se sentent toujours soulagés après avoir abordé le sujet. Cela crée un sentiment de sérénité dû au fait que tout est réglé. Ils disent alors souvent qu’ils auraient dû le faire beaucoup plus tôt. »

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