
Si les pères se montrent de plus en plus présents auprès de leurs enfants, rares sont ceux qui osent casser les codes, se réservant le rôle de « père au foyer ». Une tâche ardue mais bien peu considérée par nos sociétés. Rencontre avec un papa de 4 enfants qui n’a jamais regretté son choix.
« Je suis père au foyer depuis plus d’une quinzaine d’années. Un cas je pense assez exceptionnel. Je n’avais pas de plan précis, ce sont les hasards de la vie qui ont dicté mes choix. »
Hugo de Crombrugghe, 50 ans, avait une vie active avant de goûter aux joies de l’intendance du foyer. « Je travaillais à l’époque pour Banksys. Ma femme et moi sommes partis à Toulouse où nous avons eu notre premier enfant, j’y avais rejoint une entreprise d’informatique. Après notre second enfant, mon épouse a confirmé le fait qu’elle ne se voyait pas mère au foyer plus longtemps et qu’elle avait besoin de s’épanouir professionnellement. Bien sûr, nous aurions pu décider de travailler tous les deux mais j’ai toujours connu ma maman à la maison et le modèle d’un parent présent, j’avais du mal à adhérer au schéma où les deux parents organisent tout autour de leur profession.
Je trouvais bizarre de devoir gagner de l’argent pour, finalement, en donner une grosse partie pour pouvoir faire garder ses enfants. J’ai donc proposé à ma femme d’échanger nos places, ce qui n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd ! Elle a trouvé un poste dans une ONG à Paris avec possibilité d’être mutée en Belgique par la suite, ce qui fut le cas. Ce passage à Paris a été déterminant car j’ai réalisé que je pouvais vraiment m’épanouir dans cette fonction. D’autant que je l’ai vécu dégagé de toute pression sociale, loin de mes proches en Belgique. »
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Retour en Belgique
Une fois rentrés au pays, le statut de père au foyer d’Hugo est acquis pour son entourage. Et lui est de plus en plus convaincu de son bon choix. « Je suis issu d’une famille nombreuse et ma femme également. Nous désirions tous deux avoir plusieurs enfants et cela ne rajoutait rien à mon questionnement. Très vite, le plus évident quant aux avantages de mes occupations a été le plaisir de prendre du temps pour ses enfants. Je suis plutôt un homme d’intérieur, cela ne me dérangeait pas d’avoir la charge de la maison. C’est une chance de voir grandir ses enfants, de s’intéresser à eux, de les accompagner. »
Quand on gère une maisonnée de six, mieux vaut être très organisé ? « Ayant travaillé dans la logistique, l’organisation familiale n’a pas été trop difficile à mettre au point. Le plus compliqué à vivre ? Le sentiment que je ne suis pas le dernier mais le premier des Mohicans : mon choix n’est pas des plus classique, ce n’est pas toujours facile de le vivre dans la durée. Je suis vu comme quelqu’un de différent du fait que je ne travaille pas. Je me sens parfois un peu déconnecté du monde des hommes. Quand je travaillais, on me posait beaucoup de questions sur mon boulot. Mais par la suite, nous avons remarqué que les gens ne questionnent pas ma femme sur sa profession mais bien sur mes choix.
Je reste un sujet de curiosité. Je crois, en toute humilité, qu’on a toujours besoin d’être reconnu dans ce qu’on fait. Faire office de « bête curieuse », susciter l’intérêt, voire l’émerveillement ou l’envie, est plutôt valorisant. Entendons-nous, cet intérêt se lit surtout dans le regard des femmes… Elles ont, pour la plupart, du mal à croire à mon épanouissement, sans doute parce qu’elles ne le vivent pas de la même façon que moi, à savoir par choix. Une femme au foyer n’est toujours pas valorisée. Cependant, un père au foyer, si son état s’installe dans la durée, comme c’est mon cas, suscite de la suspicion chez certains hommes, on passe pour un planqué. Je les invite volontiers à vivre mon expérience qui, au quotidien, et malgré la joie que cela me procure, n’est pas spécialement un long fleuve tranquille. »
Gérer la maison, s’occuper des enfants, des papiers, des RDV… Les tâches s’avèrent en effet multiples. Comment se ressourcer en couple et en famille ? « Nous sommes partis durant 2 ans en volontariat au Cambodge au tout début de notre relation. Nous avons désiré revivre cette expérience, avec nos 4 enfants, au Chili, également durant 2 ans. Nous ressentions cette envie de vivre quelque chose de fort tous ensemble, mon épouse travaillait énormément et cela devenait lourd pour moi. Nous avions besoin de ce nouveau départ. Le volontariat demande à chacun de s’engager, donc j’avais aussi une mission à ¾ temps, j’étais responsable d’une bibliothèque pour enfants des rues. »
Le travail, un jour ?
Avec les enfants qui grandissent, la perspective de reprendre une occupation professionnelle ne se fait-elle pas plus pressante ? « J’ai eu des petits jobs ponctuels pour des amis. Là, les enfants mûrissent, le plus jeune a 11 ans, les autres ont 14, 17 et 19 ans, je me pose de plus en plus la question. Mon boulot à la maison est moins intense, l’aînée est rentrée à l’université. Les enfants ont moins besoin de moi, ils acquièrent de plus en plus d’autonomie, même si je continue à aimer les moments privilégiés passés avec eux. Les besoins sont différents mais je m’y retrouve encore. »
Quant à la maman, comment trouver sa place dans la famille quand le père est le référent principal ? « Il y a un équilibre à réinventer. Une petite anecdote : quand les enfants faisaient des cauchemars, ils venaient chez moi. Mais Virginie, mon épouse, est très maman et a toujours occupé sa place. Je nous trouve très complémentaires et ce qu’elle apporte est précieux. Par exemple, elle est plus présente que moi pour les devoirs. »
Hugo a-t-il eu envie, même inconsciemment, de casser les codes et les stéréotypes ? De bousculer les idées reçues ? « La société évolue même si les pays scandinaves sont plus en avance que chez nous. Je rêverais de faire changer les mentalités. De nombreux papas s’investissent beaucoup dans leur famille, de plus en plus. Moi j’ai eu le modèle d’un père qui travaille et passait moins de temps avec ses enfants. » Et les enfants, que pensent-ils de ce schéma de parentalité ? « Le sujet revient souvent dans nos conversations. Ma fille m’avait dit qu’elle aurait bien voulu d’un papa en costume-cravate partant travailler. Je n’ai pas pu lui offrir ce schéma. Mais ils savent que c’est mon choix. »
Serait-il pour une reconnaissance légale du statut de parent au foyer ? « Ce serait une belle évolution. Je n’ai pas de case à cocher, je n’ai pas de statut, je n’aurai pas droit à une pension. Mon investissement, je l’ai fait pour mes enfants, pour leur équilibre. »
Si Hugo a encore bien du travail à la maison, il faudra pourtant se projeter dans un avenir proche. « J’aime les défis. Je reprendrai un jour une activité. Mais il faudra que je trouve une occupation qui m’apporte autant que mon expérience. J’ai peur d’être déçu par quelque chose de moins exaltant. Mais je m’interroge car ma fonction de père au foyer touche à sa fin. Il faudra que je rebondisse et que j’anticipe. Pour le moment, j’ai encore de quoi faire, entre la maison à faire tourner et les occupations extra-scolaires de l’un et de l’autre. »
Texte: Gilda Benjamin