
L’homme a un parcours étonnant, reflétant le dynamisme et la passion qui l’animent. Joueur de foot, directeur de l’aéroport de Charleroi et aujourd’hui directeur commercial et opérationnel de Pairi Daiza, Jean-Jacques Cloquet défend le même credo : promouvoir le bien-être au travail.
Pairi Daiza vient de traverser des mois d’inquiétude. Mais qu’il soit ouvert ou fermé, le parc ne s’arrête jamais, on s’y active 24h sur 24, l’entreprise employant habituellement près de 350 personnes à l’année, de 600 à 800 en saison. Depuis plus d’un an, Jean-Jacques Cloquet a rejoint Eric Domb, fondateur de ce site mondialement connu, qui fait voyager le visiteur d’un continent à l’autre. Et les projets ne manquent pas, notamment depuis l’ouverture de l’offre hôtelière.
Une période de fermeture, comme ce fut le cas ces derniers mois, s’avère-t-elle particulière ?
“En hiver, il s’agit d’une période de travaux, assez intense. Notre patron à tous, Eric Domb, cherche continuellement à proposer au public le plus beau des parcs et une série de nouveautés. Bien sûr, ces mois de confinement ont changé la donne et retardé notre réouverture. Mais un projet tel la Terre du froid s’est enfin concrétisé et de multiples aménagements dans tout le parc visent à améliorer certains de nos « mondes ». En décembre 2019, nous avons ouvert pour la première fois durant les fêtes de fin d’année, un succès dont on se réjouit. Les retrouvailles avec notre public dès le 18 mai ont été particulières. Le parc a été réaménagé pour permettre à un nombre limité de personnes de le visiter en toute sécurité et dans le respect des règles imposées par les autorités.”
Que ressentez-vous après plus d’un an passé à Pairi Daiza ?
« Tout d’abord, il n’est jamais aisé de travailler avec et pour un ami car on ne veut absolument pas le décevoir. Eric Domb est quelqu’un qui recherche l’excellence. Ce sens du détail poussé à l’extrême impose une pression certaine et vous force à vous renouveler, à réapprendre. Or, j’adore apprendre, j’ai d’ailleurs écrit un livre « Grandir et faire grandir ». Oui, je continue à grandir, grâce aux projets énormes qui se profilent. J’ai toujours évolué dans un monde fait de challenges, c’est aussi la raison pour laquelle je me suis engagé aux côtés d’Eric. Il n’y a pas de hasard. J’ai accepté sa proposition en deux secondes ! Le plus enthousiasmant ? La confiance qui m’est donnée. J’ai l’impression d’être dans un relais 4 X 100 m : pour le gagner, il ne faut pas se retourner vers qui nous suit mais avancer. Le plus déroutant ? Il m’a fallu 7 mois pour m’adapter à ce modèle d’entreprise libérée. Eric peut soulever n’importe quel caillou dans le parc, il sait ce qu’il y a dessous. Et il a une relation très proche avec toutes les équipes. Si j’étais venu avec un esprit très hiérarchisé, je n’aurais jamais tenu. Il m’a donc fallu du temps pour comprendre le fonctionnement de cette entreprise. »
Quel parcours que le vôtre : de joueur de foot, à La Louvière et Charleroi, à Pairi Daiza, en passant par l’aéroport de Charleroi.
« Je ne connaissais rien à Pairi Daiza, comme je ne connaissais rien à l’aéroport de Charleroi, mais je sais ce que c’est que de diriger une entreprise. Et dans toute entreprise, il existe un dénominateur commun : la productivité. Telle est la mission qu’Eric m’a confiée. Une entreprise productive, au sens noble du terme, est une entreprise qui se développe afin de garantir sa pérennité. Et partager mon expérience et ma façon de faire avec le personnel est vraiment ma passion. J’essaye de me montrer inspirant, de créer un esprit de motivation et de donner l’envie de travailler ensemble. Je n’ai jamais eu ce concept de réussir tout seul. »

Vous avez suivi des études d’ingénieur civil et travaillé à Solvay. Par sécurité ou par goût ?
« Mon père était ingénieur et j’avoue que j’étais assez bon en maths et en physique. Je me trouvais un peu sur des rails, sans trop réfléchir. Certes, je n’ai rien de l’ingénieur-type. Par contre, je remercie tous les jours cette formation car on m’y a appris à décortiquer les problèmes. Dans chaque problème, réside une partie de la solution. Ensuite, il faut aller chercher les expertises là où elles se trouvent. Partout, dans n’importe quelle entreprise, il existe des gens compétents dans leur domaine. À Pairi Daiza, je peux compter sur les soigneurs, les vétérinaires, les jardiniers, les techniciens… C’est vraiment magique d’agir comme un chef d’orchestre en sachant qu’il n’est ni premier violon, ni bassiste, juste celui qui dirige tout l’ensemble. »
Que faut-il pour incarner un bon manager ?
« Il y a, selon moi, trois règles très importantes. Premièrement, bien s’entourer et rechercher les compétences. Certains dirigent des équipes en voulant à tout prix garder le contrôle. Mais on n’avance pas avec ce schéma, nous avons besoin de gens capables de nous challenger. Deuxièmement, ne pas hésiter à recourir à des experts extérieurs, que ce soit en droit, en finance, en digital ou autre. Quand j’étais à l’aéroport de Charleroi, j’ai rencontré des patrons de compagnies aériennes et des journalistes spécialisés qui m’ont beaucoup appris. Et la troisième règle, à mes yeux la plus importante, est d’avoir une vision de ce qui va se passer dans les 3 à 5 ans, dans son activité, afin d’anticiper de façon optimale et de prévoir les changements nécessaires, pour ses infrastructures comme son personnel. Je pense qu’il est très important pour le personnel de se dire « Mon patron se préoccupe de l’avenir de ma boîte ». Quand Eric Domb a élaboré le projet concernant une immense serre pour le futur, il l’a fait en connaissance de cause. Nous avons tous les deux 60 ans : cet investissement qui était prévu pour 2023 et qui, s’il n’y avait pas eu la crise sanitaire que nous traversons, devait sans doute être rentable en 2025, concerne surtout ceux qui nous succèderont. Il faut se projeter, et penser aux métiers de demain. Une étude, qui concernait les aéroports, expliquait que 60% des métiers en 2030 n’existent pas encore aujourd’hui ! Le rôle principal d’un patron d’entreprise est donc de préparer les gens au changement. »
Est-ce particulier de travailler pour une entreprise tournée vers le public, les loisirs et une part de rêve ?
« Pas vraiment. Selon ma conception, il y a 3 axes dans le mode de conception d’une société. La première est que vous travaillez pour un actionnaire qui attend un retour puisqu’il a pris les risques. Le deuxième concerne le client, dans un aéroport les compagnies aériennes et les passagers, à Pairi Daiza les visiteurs. Une partie de mes investissements doit donc veiller à donner le meilleur service. Le troisième axe se rattache au personnel. Je dois veiller à lui apporter le bien-être au travail. Et ces trois axes sont d’égale importance. »

Comment définissez-vous le bien-être au travail ?
« Cette notion est vaste. Il y a, bien sûr, l’aspect rémunération mais également bien d’autres choses. Comment répondre à l’attente d’un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée ? Peut-être en proposant une forme de flexibilité ou du télétravail. Quand quelqu’un est heureux au travail, son cerveau est plus productif de 31% selon une étude que j’ai lue. Je le dis et je le redis lors de mes conférences et j’amène la preuve que ça marche. 2,7 % d’absentéisme dans un aéroport, comme c’était le cas à Charleroi, et 10 ans sans une minute de grève : ce sont des chiffres qui parlent d’eux-mêmes. Sans oublier la fierté d’appartenance. Ce sont des indicateurs précisant que ce que j’appelle le ROC (Return On Consideration), le Retour Sur Considération, se matérialise notamment par des améliorations de productivité. Personnel et entreprise s’y retrouvent, en parfaite transparence. Je répète toujours à mes employés : « Soyez heureux et je le serai aussi ». Une relation a besoin d’être fertilisée, il faut s’intéresser à l’autre. Cordialité, respect, confiance nourrissent le tissu social. Autant d’éléments qui conduisent à une critique constructive. Si un employé me dit « On pourrait peut-être faire mieux », c’est tout bon car nous chercherons à améliorer les choses ensemble. »
Votre expérience à Charleroi vous a-t-elle servi pour Pairi Daiza ?
« Sans aucun doute. D’ailleurs, quand j’ai travaillé en usine à Solvay aussi. J’ai toujours travaillé 7 jours sur 7. Je travaille tout le temps… mais je m’arrête aussi tout le temps ! J’ai toujours mon boulot en tête tout comme ma famille. Je vis une osmose totale entre les deux, ce qui peut s’avérer parfois perturbant pour mes proches. Mais je vous assure que je sais aussi profiter de la vie. Il nous est déjà arrivé, à ma femme et moi d’aller passer un WE aux Lacs de l’Eau d’Heure… à 10 km de chez moi. Nous pouvons aller nous balader en ville, flâner, prendre un café… Les enfants nous rejoignent à la maison, on prend le temps. Tout en sachant que je terminerai tout de même mon dimanche en travaillant. Ma vie est celle-ci, je ne le vis pas comme une contrainte et je n’impose aucunement mon mode de vie à qui que ce soit, à commencer par mes enfants. Nous formons une grande famille recomposée de 7 enfants : j’ai 4 enfants, mon épouse 2 et nous avons eu une petite fille. Et chaque année, nous partons en vacances tous ensemble. Certes, je ne dors pas beaucoup. Et je dois encore apprendre à ne pas téléphoner à certains collaborateurs à 6h du matin ou un dimanche après-midi. »

Avez-vous une capacité perpétuelle à vous émerveiller ?
« Je ne peux pas mieux dire, je suis émerveillé. Quand j’entends Eric Domb parler de ce qu’il désire créer, je suis comme un gosse. Et mon objectif est de faire le maximum pour lui permettre de réaliser ses rêves. Je suis là pour analyser ce qui est réalisable, élaborer les coûts. Si on m’a confié une mission de productivité, ce n’est pas par hasard. »
Quels sont les projets significatifs de Pairi Daiza ?
“Le projet « Pairi Daiza Resort » se développe. Dans « La Dernière Frontière » et au cœur de « La Terre du Froid », nous proposons désormais 100 logements avec vue sur le territoire des animaux pour passer des séjours immersifs inoubliables. Ailleurs dans le parc, plusieurs espaces ont été réaménagés : le Cap Austral, la Plaine indienne pour les éléphants, la Volière Cathédrale,…. En 2019, nous avons accueilli près de 2,2 millions de visiteurs. 2020 fait face à un scénario inédit et des mesures particulières mais les visiteurs sont fidèles et impatients. Nous essayerons de contenter le plus grand monde.”
Quel est votre endroit préféré à Pairi Daiza ?
« Il y en a deux. D’une part, un coin en hauteur d’où je regarde les ours et les loups. Et l’autre endroit que j’affectionne est l’espace des orangs-outangs. Je n’ai pas de mots pour décrire une maman tenant fièrement son petit. Je vois chez les animaux certains comportements que je ne vois pas chez les humains. »
Tenez-vous toujours à votre collection de Schtroumpfs ?
« Mais je les ai tous ! Je suis resté un grand enfant. »
Texte: Gilda Benjamin