
Que souhaitez-vous transmettre ? Quelle trace voulez-vous laisser ? Quelles sont les valeurs qui vous habitent et vous semblent essentielles ? Nota Bene a demandé à Typh Barrow de partager un peu de son intimité.
Il a fallu du temps à cette artiste sensible et généreuse pour tracer sa route mais son ascension est éclatante. Pas un concert qui n’affiche complet. Ses chansons tour à tour percutantes ou empreintes de nostalgie ont su toucher un public qui la suit et l’ovationne. Car Typh Barrow se donne sans compter sur scène, ses fans ne s’y trompent pas. Volontaire mais pudique, la jeune femme sait ce qu’elle doit au travail mais aussi à ses parents, soutiens précieux. Il semble bien loin le temps où d’aucuns la décourageaient et critiquaient cette voix androgyne, si appréciée aujourd’hui.
Vos parents ont-ils éveillé votre passion pour la musique ?
Il est vrai que l’environnement familial influence énormément le terrain musical dans lequel on grandit. Pourtant ma maman n’est pas du tout musicienne et mon papa, s’il a fait 10 ans de violon durant son enfance, l’a par la suite abandonné. Mais, très mélomane, il déterminait l’ambiance musicale qui régnait à la maison. Nous avons donc écouté beaucoup de blues, de jazz, de soul, de rock. Mes parents désiraient inclure la musique dans notre éducation et ont demandé, à tous leurs enfants, de quel instrument nous voulions jouer. Et non pas SI nous voulions jouer ! Intuitivement, j’ai choisi le piano. C’est donc bien grâce à mes parents si je me suis formée à la musique, avec une maman qui courait dans tous les sens pour conduire ses trois enfants à toutes nos activités extra-scolaires. Je leur suis très reconnaissante.
Quelle a été votre première émotion musicale ?
J’ai un souvenir très précis de la musique qu’on passait dans la voiture durant nos voyages en Espagne ou en Provence, ce qui occupait nos longues heures de route. Nous adorions le disque d’Eric Clapton « MTV Unplugged » et le fameux « Hôtel California » des Eagles. Par la suite, mon grand frère, dont je suis proche en âge, m’a aussi influencée en écoutant pas mal de hip-hop et de rap. Mais j’étais également friande des hits pop qui passaient à la radio. Seule la chanson française était beaucoup moins présente. Le seul album francophone que j’écoutais en boucle était celui de Céline Dion « D’eux ». Je m’y suis bien cassé la voix, et les tympans de mes proches ! C’était mon album de chevet, avec « Bad » de Michael Jackson.
D’où vous vient votre volonté farouche ?
Je parlerais plutôt de volonté naturelle et intuitive. J’ai rencontré beaucoup d’obstacles mais j’ai poursuivi. J’avais cerné ma mission de vie. Malgré les difficultés, on avance sans se poser de questions. Je n’ai jamais envisagé de faire autre chose. Mes parents m’ont soutenue tout en étant prudents. Avant de passer mes examens au Conservatoire, ma maman m’a demandé si j’avais un Plan B. Dans l’absolu, je n’en avais pas mais j’ai tout de même mené de front des études de droit. Je n’aimais pas particulièrement cette matière mais j’ai vraiment apprécié la vie universitaire.
Pourtant, j’avais l’impression d’être une imposture parmi ces étudiants si investis alors que ma vocation était ailleurs. Cela me changeait du Conservatoire où il n’y avait pas vraiment de vie estudiantine et où je côtoyais des gens de tous les âges. D’autant que le jazz est plutôt un milieu de mecs qui, pour beaucoup, passaient leurs nuits dans les clubs à jouer et improviser. Moi j’avais 18 ans… J’y ai, cependant, vécu des moments impressionnants et privilégiés. Mais j’ai surtout eu la chance d’y rencontrer mes musiciens, qui sont toujours à mes côtés aujourd’hui.

Comment expliquez-vous cette détermination qui est en vous ?
Mes parents sont des passionnés qui n’ont jamais économisé leur temps et leur énergie, mon père étant architecte et ma mère, professeur. Ils ont dû me transmettre ce gène du déterminisme ! Ce sont deux forces de la nature, avec un parcours totalement différent. Ma maman est issue d’une grande famille très unie alors que mon père était quasi orphelin. Il est arrivé seul en Belgique, a appris le français, s’est construit une vie. Plusieurs fois, j’ai eu envie d’abandonner le piano. Mais il m’a forcée à ne rien lâcher. Si, à l’époque, je l’ai ressenti comme une obligation, je me rends compte à quel point il m’a rendu un fier service.
J’ai commencé à jouer dans les piano-bars vers l’âge de 15 ans. Je pense parfois à cette phrase de Brel « Il n’y a pas de talent, il n’y a que de l’envie ». Je ne pense pas que j’avais un réel talent à l’époque mais j’avais une envie féroce de jouer, c’était mon truc ! J’étais assez imperméable aux compliments, mais très attentive aux critiques.
Vous sentez-vous enfin légitime aujourd’hui ?
Ce qui me touche le plus c’est l’amour du public, quand les gens viennent se confier, me relater un événement ou une émotion en rapport avec ma musique. Là, je me sens à ma place. J’ai du mal à exprimer réellement ce sentiment. Je n’ai pas la prétention de penser que je fais du bien aux gens. Mais leurs témoignages d’affection m’apportent énormément. Ce n’est qu’après coup que je réalise combien ma musique et mes textes peuvent émouvoir certains.
L’écriture vous permet-elle de trouver des réponses ?
Si pas des réponses, un certain soulagement. J’arrive à exorciser certaines choses douloureuses. Je ne me suis jamais freinée dans mes textes comme dans ma musique, ce qui a pu dérouter à mes débuts car on ne pouvait pas vraiment me cataloguer dans un seul style. Je me laisse les portes ouvertes. Et de toute façon, j’ai un filtre imparable qui est François Leboutte, mon manager. Comme j’ai une entière confiance en lui, je m’autorise le maximum dès le départ. En tant que directeur artistique du projet, il est une sorte de baromètre. Quand j’ai participé à The Voice, j’ai réalisé la chance énorme que j’avais d’être entourée de personnes compétentes et bienveillantes sur lesquelles je peux entièrement me reposer. Ce n’est pas le cas de tous les artistes.

Comment avez-vous construit votre image d’artiste ?
Il s’agit d’un processus assez naturel qui s’est élaboré par phases. Si je porte aujourd’hui des tenues très colorées, j’ai connu ma période noir et blanc. Je me suis beaucoup protégée au début, j’avais endossé une carapace qui pouvait être perçue comme de la froideur ou de la prétention. J’ai appris à m’ouvrir davantage. L’exercice imparable est de se regarder et de s’écouter. Un exercice compliqué mais nécessaire.
Avez-vous une envie de transmettre ?
Je ne me perçois pas comme une messagère mais j’ai besoin de donner des émotions, de rendre ce que je reçois. Une énergie incroyable circule entre moi, mes musiciens et le public. Plus on reçoit, plus on a envie de donner. Un concert est un moment d’une intensité incomparable dont on sort à la fois épuisé et gonflé à bloc.
Comment se protéger ?
Le fait que le projet ait pris du temps à grandir a été très bénéfique car il y a de quoi se brûler les ailes assez vite. Mon entourage familial et mes amis représentent des piliers solides. Pourtant, au début, je ressentais une faim de quelque chose d’indéfinissable, un manque que je compensais par la nourriture, en me jetant sur mon frigo. Après un concert et cette vague d’amour immense, suit le vide quand on rentre à la maison. On peut facilement tomber dans des extrêmes. Je me suis tournée vers des solutions douces comme le yoga, la méditation, la lecture.

Ce qui ne vous empêche pas d’être adepte de sports extrêmes. Existe-t-il une autre Typh Barrow que le public ne soupçonne pas ?
Moi-même je ne comprends pas encore toutes les facettes de ma personnalité. J’ai un côté très mec mais aussi très féminin, doux et explosif… Je pense que plus il y a de la lumière, plus il y a de l’ombre. Mon goût pour les sports extrêmes représentait une façon de me prouver des choses, de repousser sans cesse mes limites. Aujourd’hui, il n’y a plus que le plaisir. Et je n’ai pas du tout l’impression de frôler la mort à chaque expérience car j’ai une totale confiance en la vie. Sauter à l’élastique, en parachute, nager avec des baleines à Madagascar, j’essaye tout. Mais je peux tout aussi bien grimper en haut d’une nacelle au Forum de Liège pour faire comme le machiniste des lumières, juste parce que ça a l’air trop cool ! Rien ne freine mes ardeurs téméraires, au grand désespoir de mon manager.
En étant coach à The Voice, aviez-vous envie de transmettre votre expérience à de jeunes artistes ?
J’étais persuadée d’apprendre beaucoup mais je m’inquiétais de savoir si j’allais pouvoir leur apporter quelque chose. Ce fut une belle expérience. Je ne me sentais pas comme un membre du jury mais comme un accompagnateur. Je tenais à respecter chaque talent, à incarner un coach bienveillant. Leur promettre que je respecterai leur intégrité et leur univers était la moindre des choses car c’est ce que je désirais plus que tout à mes débuts.
Vous êtes une artiste engagée, notamment auprès des Amis de l’Institut Bordet et de SOS Faim.
Des causes qui me touchent profondément. Comme nous sommes très sollicités, je n’ai pas envie d’accepter tout et n’importe quoi. Je veux pouvoir m’impliquer pleinement. Quand je suis marraine d’une association, je veux l’être à 100 %.
Typh Barrow sera les 8 et 9 mai 2020 au Forum de Liège et le 15 mai au Cirque Royal à Bruxelles.
Toutes les autres dates sur www.TyphBarrowLive.be
Texte: Gilda Benjamin