
Que souhaitez-vous transmettre à vos proches ? Quelle trace voulez-vous laisser ? Quelles sont les valeurs qui vous habitent et vous semblent essentielles pour les générations futures ? Nota Bene a demandé à Jacques Borlée de se dévoiler un peu en pointant ce qui est cher à son coeur.
Impossible d’établir la liste de tous les exploits d’une famille d’athlètes guidée par un homme qui révolutionne l’athlétisme mondial depuis une décennie. Jacques Borlée, ancien champion de sprint, est plus qu’un coach : insatiable curieux, il cherche les moyens de performer, décortique les victoires comme les échecs, clame depuis longtemps les bienfaits d’une préparation impliquant différents spécialistes, se passionne pour les neurosciences, prône le plaisir et les sensations, se bat pour des infrastructures à la hauteur des talents en piste… Il a gardé de l’éducation de ses parents le sens de l’exigence et l’ouverture aux autres. On le croit réservé à l’extrême, fermé aux émotions. Mais placez-le devant une photo de sa famille au grand complet, 7 enfants, et son sourire se fait encore plus grand que son palmarès !
De quoi sera faite 2019 ?
Nous sommes dans un sport particulier, où on s’entraîne plus qu’on ne fait de compétitions. Et dès que nous sommes en phase de compétition, nous devons être à 100 % de nos capacités, que ce soit au point-de vue physique, technique ou mental. Cette année est divisée en deux parties, les championnats du monde de Doha se déroulant de fin septembre à début octobre. Après les récents championnats d’Europe indoor de Glasgow, nous serons aux USA afin de nous confronter aux meilleurs athlètes américains et continuer par les championnats du monde de relais au Japon pour nos deux équipes féminine et masculine. De bons résultats nous qualifient presque d’office pour Doha et même pour les JO de Tokyo. Autant d’étapes pour confirmer nos bons résultats depuis les JO de Rio et une année 2018 exceptionnelle. Nous partons nous entraîner presque chaque année en Afrique du Sud, dans un lieu exceptionnel. En Belgique, nous nous entraînons à Boitsfort au stade des 3 Tilleuls mais aussi au stade Roi Baudouin ou à Louvain-La-Neuve. Il faut des pistes particulières pour supporter des charges importantes lors de course à pleine puissance.
Vous vous êtes beaucoup impliqué dans le développement du stade de Louvain-La-Neuve. Une préoccupation logique pour un entraîneur tel que vous ?
Ce qui est important, et que le monde du sport doit bien comprendre, c’est qu’il faut des centres sportifs régionaux performants. Mais il est tout aussi essentiel d’avoir un lieu, central, où on peut diffuser la connaissance au plus grand nombre, afin de créer la confiance auprès des coachs et des athlètes et les informer de modes de fonctionnement de qualité. Manquer d’un tel centre, c’est perdre en calme et en sérénité. On peut comparer avec le monde de l’entreprise où les meilleurs patrons sont avant tout des coachs. Il faut saisir les mécanismes de la réussite, qui sont en train de fortement évoluer à cause de la mondialisation. L’une des premières choses que je répète est qu’il faut créer la fierté : d’un pays, de ce qu’on accomplit et de la manière dont on réussit. Ensuite, il faut rester attentif aux valeurs que l’on défend, déterminantes dans la confiance et l’estime de soi. Il faut se nourrir de l’excellence, stimuler l’ambition, l’innovation, rester dans un positivisme parfois difficile à maintenir… Un bon coach ne doit pas seulement aller chercher le meilleur en chacun mais toujours revenir sur ce meilleur. Si vous revenez sans arrêt sur les points faibles d’une personne, elle se détruit. Lors d’un entraînement, il faut toujours commencer par les points forts.

D’où tenez-vous ce regard sur la vie et cette force de conviction ? L’aviez-vous déjà en vous en tant que sportif ?
Je pense que ma mère m’a transmis son positivisme et sa faculté à se remettre en question. Si vous échouez dans quoi que ce soit, il ne faut pas se trouver des excuses. Mais si vous réfléchissez à votre responsabilité, c’est le début du renouveau. Par la suite, je me suis intéressé notamment aux neurosciences, afin de comprendre le fonctionnement du cerveau et l’impact des sensations positives, et je me suis toujours bien entouré. Notre devise est « Together we go faster », ensemble nous allons plus vite.
Vous entraînez six de vos enfants. Ce n’est pas banal !
C’est juste le travail de ma vie. Quand j’étais moi-même athlète, je ne comprenais pas pourquoi je performais ou pas selon les moments. Je fais beaucoup de relaxation et de méditation et j’ai fait 10 ans d’eutonie pour comprendre comment relâcher les tensions. La notion d’amour est essentielle pour un coach. On a régulièrement vu, en athlétisme, des familles exceller car cette notion d’amour est présente. Bien sûr, mes enfants pourraient dire qu’ils ont leur père tout le temps sur le dos ! Mais je crée avec eux un dialogue, je leur montre combien ils sont importants pour moi. Quand mes fils courent à 3 dans les championnats et dans les équipes 4 X 4, c’est terriblement puissant. Ce lien, qui peut s’avérer fragile, doit s’entretenir, évoluer, dans la confiance.
“ Together we go faster ”
Toute la Belgique est derrière vous. Que pensez-vous de cette fierté que vous suscitez ?
En Belgique, les jeunes n’ont plus peur, ils foncent et donnent le meilleur d’eux-mêmes, ils sont là pour gagner. Il y a un enthousiasme et une envie d’entreprendre. Et puis, le fait qu’une famille montre que quatre de ses enfants réalisent autant de performances à l’international, et proprement, c’est important. On montre que c’est possible. Et tout cet enthousiasme me rend moi-même très fier.
Les valeurs que vous transmettez à vos enfants sont-elles les mêmes que celles transmises par vos parents ?
Je pense que les choses évoluent sans cesse. Quand vous êtes dans le trou, il faut regarder vers la lumière, ne pas baisser les bras. C’est ce qui s’est passé en 2018. Je leur parle énormément de respect, en toute occasion. Le respect, l’esprit d’équipe, le dépassement de soi sont des valeurs qui me sont chères, dans le sport comme dans la vie. Une société ne tient que par ses valeurs mais il faut dégager les plus essentielles et s’y tenir. Je tiens aussi à la notion de « fun », expressément dans le sport. La souffrance est certes omniprésente dans notre discipline mais encore faut-il la transformer en quelque chose de plaisant, d’amusant. Raison pour laquelle nous partons nous entraîner dans des lieux idylliques, nous renforcer grâce à des team buildings extraordinaires comme notre prochain voyage sur l’Himalaya où nous serons avec toute l’équipe des Belgian Tornados et huit chefs d’entreprise afin de créer l’échange dans des moments uniques. (Ils en profiteront pour monter une opération de soutien à SOS Villages d’Enfants, ndlr) Nous allons faire 220 km à pied durant 18 jours et nous enrichir de l’expérience des autres. Je tiens à ce genre de préparation chaque année avant les JO. Une telle expérience fait apprécier les qualités de chacun, on se découvre, on se redécouvre. On se crée aussi des souvenirs forts qui, réactivés au niveau du cerveau, nous portent vers le futur.

Êtes-vous un coach et un papa heureux ?
Vous pouvez tout à fait le dire ! Mais je suis dans une remise en question permanente ce qui m’empêche, peut-être, de savourer suffisamment les bons moments et de réaliser ce que nous sommes en train d’accomplir. Parfois je me secoue pour réfléchir à ces 40 médailles cumulées à l’international. Je vais vous raconter une anecdote : je me suis occupé d’un champion aux performances mondiales, qui m’a quitté car il me trouvait trop motivé ! Et bien oui, je vise toujours à faire mieux, mais surtout la recherche extrême de la sensation. Écoutez les Usain Bolt, Roger Federer, David Goffin… Ils vous parleront toujours de sensation, c’est elle qui permet de progresser. La connaissance des neurosciences me pousse à chercher les moyens de l’excellence. Cette quête m’anime également dans ma vie de tous les jours. Peut-être suis-je à la recherche de quelque chose de spécial, d’indéfini ?
Vous êtes aussi un homme engagé.
Je soutiens activement SOS Villages d’enfants, notamment à Kinshasa, j’y ai organisé des mini JO. Mon désir est d’insuffler de l’argent mais aussi de l’énergie. Mais je m’implique également dans l’organisation de Jeux olympiques de quartier à Molenbeek qui se tiendront en juin. L’idée est toujours la même : transformer ce qui peut paraître négatif en positif. Enfin, j’ai un projet qui me tient à coeur depuis longtemps : créer un centre sportif de haute performance mettant en avant les techniques d’harmonisation du corps et du cerveau. Le sport de haut niveau peut apporter énormément à la société.
Quelles sont vos façons de vous ressourcer ?
Lors de mes séances de relaxation. J’aime aussi partir seul faire mon footing, je cours près de chez moi dans la forêt, j’ai l’impression que mon cerveau s’éclaire et que je suis ouvert à plein d’idées. Je suis un passionné du mouvement.
Que disent vos enfants de vous et qui vous rend heureux ?
Voici la réponse : cet album de photos qu’ils m’ont offert pour mon anniversaire. Ils ont tous écrit quelque chose sur la page de garde. (« Au plus génial des papas », « … le plus formidable des papas », « … Mon papa chéri », ndlr). Je n’ai rien d’autre à rajouter.
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