Laurence Bibot : “L’humour était un langage commun entre tous dans la famille”

Depuis près de 30 ans, elle nous fait rire avec ses personnages drôlissimes, souvent attachants, et un sens du contact dont le public raffole. Laurence Bibot a grandi dans une famille où l’humour dictait sa sympathique loi. Aujourd’hui, elle regarde l’ascension fulgurante de ses enfants, Angèle et Roméo Elvis, avec fierté. Mais aussi pudeur.

Miss Bricola et les Snuls, « Bravo Martine », « Miss B. », les « Jeux du dictionnaire » ou les « Café serrés » en radio, « Monsieur et Madame » avec son mari Marka… Laurence Bibot, grande fille au jeu rythmé, se transforme, prend la pose, décrit une vie qui parle au coeur des gens tout en leur arrachant des larmes de rire. Actuellement en tournée avec son dernier spectacle « Bibot distinguée », elle se livre comme jamais sur la femme de 50 ans qui ausculte le temps qui passe tout en rêvant de prolonger une jeunesse qui lui va si bien. Elle reviendra sur scène dans la nouvelle pièce de Sébastien Ministru « Les belles personnes » et verra le spectacle qu’elle a écrit « Croisière coconuts » être monté au TTO à Bruxelles. Elle a beau dire qu’elle resterait bien oisive, elle n’arrête pas. Son cerveau en ébullition n’est jamais en peine de trouver des idées aussi géniales que saugrenues. Elle poste des capsules sur Instagram où elle recrée des personnages d’interviews trouvées aux archives tout en gardant les voix originales. Hilarant. Bibot s’amuse et fait mouche.

Dans son appartement bruxellois, on y trouve pas mal de créations d’amis artistes et beaucoup de photos. Sur un mur, se dessinent Roméo Elvis de dos, face à une foule en délire. Et Angèle, tout sourire. Justement, on entend du piano, la jeune fille travaille, déboule pour se prendre à boire, consciente que la déferlante saluant son premier album ne fait que commencer. Dans cette famille, créer est de l’ordre du naturel.

Est-ce excitant de pouvoir jouer sur tous les tableaux ?
Oui, d’autant que je le fais avec des gens en qui j’ai entièrement confiance. Quand Sébastien Ministru me dit qu’il a un projet, j’accepte tout de suite. La vie est faite de rendez-vous et de partages. J’aime tellement travailler en équipe avec les gens que je connais bien, que je m’éloigne peut-être de certaines opportunités, de nouvelles rencontres ou de nouveaux lieux. Par confort, par méfiance ou par timidité, j’aurais pu ouvrir certaines portes. Il est vrai que je fonctionne à l’affectif, et je suis d’une nature assez fidèle. Et si j’aime me réinventer dans mes spectacles, j’avoue que je ne suis pas une aventurière. Souvent, les gens viennent me chercher, décèlent en moi quelques faces cachées. Sinon, j’en serais toujours à rester seule dans ma chambre à me déguiser !

Ce spectacle de stand-up correspond-il à la Laurence Bibot d’aujourd’hui ?
Je me suis rendu compte, après mon spectacle précédent « Bibot debout », que j’avais encore plein de trucs à raconter. Pourtant, quand on regarde la scène du stand-up, je passe pour une vieille ! J’ai décidé d’utiliser comme un atout le fait d’avoir 50 ans. J’ai toujours fait des spectacles seule en scène mais il existe une grosse différence dans la forme, mon seul accessoire est mon micro. Je ne joue pas, je parle au public. Bien sûr, mes histoires sont peuplées de personnages mais il n’y a pas la distance qui existe au théâtre.

Quels thèmes abordez-vous ?
Quelques grandes questions qui nous taraudent : la vie, la vieillesse, la mort… Et aussi quelques obsessions. Je collectionne les photos de chats et de chiens disparus. Ces affichettes en disent tellement long sur leurs maîtres. J’ai le sentiment de me dévoiler plus que jamais, je fais part des interrogations et des preoccupations qui sont les miennes. Le plaisir d’être seule en scène ne m’a jamais quittée, il fallait juste que j’explore d’autres pistes.

L’écriture est-elle un besoin viscéral et quotidien, le moyen de s’extérioriser ?
Ce le fut mais plus le temps passe et plus je peux rester sans travailler, ça m’inquiète. Mais d’un coup, les choses commencent à tourner dans ma tête et il me faut alors, absolument, un projet sur lequel me focaliser. Je réponds à une pulsion et heureusement que mes amis dans le métier sont là pour me canaliser et me pousser.

Votre sens du spectacle vient-il de votre famille où l’humour était très présent ?
Je rends d’ailleurs hommage à ma maman à la fin de mon spectacle. L’humour était, en effet, un langage commun entre tous dans la famille. Mon père adorait l’humour noir et les gags un peu cruels. Quant à ma maman, elle aimait tout simplement rire et faire rire. Elle avait l’esprit cabot, racontait des histoires, amusait ses copines. L’humour était presque une religion à ses yeux. Elle nous encourageait à nous charrier, nous disant : « Ne soyez pas susceptibles, dans la vie il faut pouvoir se défendre ». Il était interdit de râler quand l’un ou l’autre se foutait de nous ou sortait une vanne.

“L’humour fait vraiment partie de mon éducation.”

Y avait-il aussi cette idée de ne pas s’apitoyer sur soi-même, de rendre la vie plus légère ?
Nous venions d’une famille plutôt à l’aise, nous étions conscients d’être privilégiés. C’était juste une question de décence de ne pas se plaindre quand on vivait une vie agréable comme la nôtre. Je pense que c’était une bonne leçon de vie.

Qu’avez-vous le plus transmis, Marka et vous, à vos deux enfants Angèle et Roméo, au vu de l’incroyable parcours qui est le leur aujourd’hui ?
Marka et moi n’avons pas fait d’études, nous sommes presque complexés par rapport à la science de la langue. Plus jeune, les mots n’étaient vraiment pas mes copains ! C’est venu très tard, je me débrouillais avec mes textes mais avais beaucoup de mal à m’approprier ceux des autres. Il est vrai que nos enfants sont de réels auteurs. Peut-être ce sont-ils dit que c’était possible en nous voyant travailler. Être son propre auteur permet d’être plus autonome. Or, Marka et moi avons toujours été les propres maîtres de notre carrière et avons toujours vécu de notre art. Nous leur avons sans doute transmis que créer était une forme de liberté et permettait de ne pas trop dépendre des autres. Nous sommes heureux qu’ils soient acteurs de leur vie. En étant artiste ou mathématicien, peu importe, du moment qu’ils créent ce dont ils ont envie.

Teniez-vous absolument à les initier à toutes formes artistiques, à commencer par la musique ?
On avait chacun notre pôle d’intérêt. J’ai adoré le fait d’avoir des enfants pour justement leur transmettre mes enthousiasmes, mes goûts. Enfin je pouvais partager mes coups de coeur. Dans ma famille, j’étais la plus jeune et n’avais pas l’occasion de faire découvrir des trucs à mes soeurs et frères plus âgés. Alors j’emmenais mes enfants au musée ou leur faisait écouter mes albums préférés. Et parfois, ils m’envoyaient paître ! Mais tout cela relève d’une démarche joyeuse et pas du tout d’une éducation indispensable. De toute façon, ouvrir les enfants à un maximum de choses les aide à forger leurs propres goûts, à ne pas craindre la nouveauté.

Qu’apprenez-vous de vos enfants ?
Ils m’apprennent énormément, d’autant qu’ils ont des qualités que je n’ai pas forcément. Angèle et ses copines sont très impliquées dans l’écologie. Ma fille fait très gaffe à l’environnement, elle est végétarienne, attentive à sa façon de consommer, reste fidèle à ses valeurs. Elle fait preuve d’une belle conscience. Elle et Roméo me permettent de rester connectée à leur génération. J’écoute ce qu’ils écoutent, j’observe leur façon d’appréhender les choses. Je leur demande souvent des conseils en musique. J’aime l’idée qu’ils se sont forgé leurs convictions et leurs goûts.

Angele et Roméo Elvis

Qu’est-ce que cela fait d’être née en 1968 ?
Cette date a une signification pour moi et ma famille. Ma mère a vécu une véritable petite révolution personnelle en adhérant au mouvement féministe. J’ai été éduquée dans une école pilote à l’époque, le Cours Charlemagne, très expérimentale. Je suis la seule à y avoir fait mes études dès l’âge de 6 ans. Ma mère avait décidé de bousculer les codes en me mettant dans un établissement où l’enfant était libre de faire ce qu’il voulait en se montrant très créatif. Pendant que mes frères et soeurs suivaient, eux, des études classiques dans des écoles catholiques.

Cette éducation a donc forgé votre parcours, prémisses de ce qui deviendrait votre vocation ?
Sans aucun doute. Mais une telle éducation se paye aussi après. En retrouvant l’enseignement traditionnel, j’ai peiné à réintégrer une structure plus rigoureuse et j’étais nulle en orthographe. Je le suis toujours. Avec un système basé sur l’auto-estimation, je trouvais mon orthographe impeccable puisque je n’en avais pas ! Mais
cette école a clairement influencé mon parcours et mon sens de la liberté.

Pensez-vous défendre un engagement féministe de par vos spectacles et vos textes ?
Sûrement. Je pense que toutes les femmes indépendantes, qui assument leurs choix, contribuent à transmettre l’idée qu’il est possible de diriger et de choisir sa vie. Je ne ressens pas le besoin de prendre position de façon politique ou autre car j’ai l’impression que ce que je fais suffit. L’acte le plus militant que je puisse accomplir est de dire et de répéter aux jeunes filles d’être le plus autonome possible.

Comment reçoit-on le retour du public et l’idée d’apporter joie et amusement dans la vie des gens ?
Il existe tellement de formes d’humour. Certains rires sont bénéfiques, d’autres toxiques. Il existe aujourd’hui une façon parfois violente d’exercer l’humour, qui me rebute. Je prends donc avec beaucoup de recul l’idée de faire rire le public. Mais je dois avouer que c’est complètement jouissif, en sachant qu’une assemblée peut réserver des surprises.

Laurence Bibot 2

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